Conte de la princesse morte et des sept chevaliers
(extraits)
Traduit par Satho Tchimichkian
Partant en terre lointaine
Le roi dut quitter la reine
Qui depuis lors demeurait
À sa fenêtre et guettait:
De l'aurore au crépuscule,
Jusqu'à ce que l'oeil lui brûle,
Elle regarde à l'entour.
Las ! La nuit succède au jour
Sans lui rendre son doux maître.
Elle voit par la fenêtre:
La neige couvre les champs
D'un manteau de flocons blancs.
C'est ainsi que neuf mois passent,
Ses yeux jamais ne se lassent;
Une fille, don du ciel,
Naît, la veille de Noël.
Noël comble son attente
Jour et nuit impénitente:
De son long voyage enfin
Le roi, son époux, revient.
(...)
Ce miroir - c'est véridique -
Parlait: il était magique.
A l'abri de sa rigueur
Seul il était en faveur.
Elle plaisantait, mutine,
Et disait, faisant des mines:
"Miroir, mon gentil miroir,
Je me fie à ton savoir:
Y a-t-il de par le monde
Plus blanche que moi, plus blonde?"
Le miroir disait alors:
"Je n'affirme pas à tort;
Entre belles de ce monde
Il n'en est pas de plus blonde.
La reine de se pâmer,
De rire et se pavaner,
De jouer de la prunelle,
Faisant bouffer ses dentelles
Et sonner ses bracelets
En admirant son reflet.
Mais comme une fleur discrète,
Dans sa corolle parfaite,
La princesse grandissait,
Enfin s'épanouissait.
Son front blanc était candide,
Son oeil noir était limpide.
Le prince Elysé brigua
Sa main: on le distingua.
(...)
Elle appelle la Noiraude
Et prononce cet arrêt :
Aux fins fonds de la forêt
Qu'elle mène la princesse,
Sous un pin, qu'elle la laisse
Vivante et la corde au cou
Pour servir de proie au loup.
(...)
L'heure du repas est proche.
Un bruit de pas se rapproche:
Entrent sept chevaliers preux
Moustachus et vigoureux.
L'aine parle: "C'est miracle!
Quel agréable spectacle !
Pour sûr, un nouveau venu
Mit de l'ordre à notre insu.
Ami, sors de ta cachette,
Nous voulons te faire fête.
Si ton âge est d'un aïeul,
Nous serons tous tes filleuls.
Ta jeunesse a tout pour plaire?
Tu seras pour nous un frère.
Ploies-tu, femme, sous les ans?
Nous serons tes fils aimants.
Es-tu fille, jeune et belle ?
Sois notre soeur, jouvencelle."
(...)
Quant à la méchante reine
Qui de rancoeur était pleine
Et ne savait pardonner,
Elle restait à bouder
Son miroir, à le maudire.
Un jour, oubliant son ire,
Elle partit le chercher,
Entreprit de s'y mirer.
La voilà qui fait des mines
Et qui lui parle, mutine :
"Miroir, bonjour mon miroir!
Je me fie à ton savoir:
Y a-t-il de par le monde
Plus blanche que moi, plus blonde?"
Le miroir lui répondit:
"Ma reine est très belle aussi,
Mais celle qui vit sans gloire
Dans la forêt sombre et noire
Chez les sept chevaliers preux
Est la plus belle des deux."
(...)
Et la princesse lança:
"C'est pour toi, attrape ça!"
La vieille le pain ramasse
Et lui dit: "Je te rends grâce
Et le bon Dieu te bénit !
En remerciement, voici !"
Une pomme d'or juteuse
Appétissante et pulpeuse
Fend les airs. Le chien bondit
En poussant d'horribles cris.
La princesse à la volée
Hop ! l'a sitôt attrapée.
(...)
Le vent s'en fut en courant;
Et le prince, sanglotant,
Partit vers cette contrée
Pour revoir sa fiancée
Las ! une dernière fois.
Enfin un mont s'aperçoit
Dans la campagne revêche;
A ses pieds s'ouvre une brèche!
Il rentre sans hésiter !
Dans la sombre cavité.
Dans les ténèbres obscures
Oscille une sépulture,
La princesse en ce cristal
Dort en un sommeil fatal.
Alors avec violence
Sur le cercueil il s'élance,
Il le brise, furieux,
Et la belle ouvre les yeux,
A son front le sang afflue.
Dans son cercueil suspendue,
Elle dit en soupirant:
"Dieu! Que j'ai dormi longtemps !"
À sortir elle se hâte:
Tous deux en sanglots éclatent.
Il la porte avec amour
Jusqu'à la clarté du jour.
Plongés dans leur causerie,
Ils regagnent leur patrie
Où déjà le bruit parvient:
La fille du roi revient.
Pendant ce temps la marâtre,
Oisive et acariâtre,
Assise dans son boudoir,
Demandait à son miroir:
"Y a-t-il de par le monde
Plus blanche que moi, plus blonde ?"
En réponse elle entendit:
"Ma reine est très belle aussi,
Mais des belles de ce monde
La princesse est la plus blonde."
Le miroir vole en morceaux !
La reine en un soubresaut ?
Voulut s'enfuir de la pièce...
Et tomba sur la princesse !
Un accès d'humeur la prit:
La reine rendit l'esprit.
Puis après les funérailles,
On fêta les épousailles :
La princesse et son promis
Furent enfin réunis
Onc il n'y eut dans l'Histoire
Festin de telle mémoire !
J'y étais et j'ai bien bu,
Ne m'en demandez pas plus !
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