Russie Russie virtuelle

HUMOUR


Versets "sadiques"


Les versets sadiques (садистские стишки), ou saduchki садюшки sont un genre du folklore humoristique russe, apparu sur la base des tchastouchki частушки (pluriel de tchastouchka частушка – les quatrains humoristiques ou ironiques, très souvent obscènes, en général mis en musique et chantés), des blagues, des parodies et des histoires à faire peur (appelées communément "strachilki" страшилки).

Comment ce genre a-t-il vu le jour? Nul ne le sait précisément, mais il existe quelques hypothèses. En 1961, le poète Oleg Grigoriev de Saint-Pétersbourg (à l'époque Léningrad) a écrit le quatrain suivant:


Tiens, Petrov l'électricien! Coucou!
Pour quoi faire, ce câble autour du cou?
Mais Petrov observe le silence,
Ses bottines dans le vent balancent.


Par la suite, il a écrit plusieurs versets similaires qui, bien entendu, n'ont jamais été publiés, mais ils se sont propagés d'après les meilleures traditions orales. Plus tard, le genre a été renforcé par Igor Malski: l'été 1977, lui et quelques autres étudiants ont fondé la commune hippie du Sous-marin jaune. Plusieurs versets glauques ont été écrits de façon spontanée, devenant très populaires – sans jamais avoir été publiés, bien entendu.

Dans les années 70-80, le genre a connu son apogée. Tout le monde connaissait peu ou prou ces versets, souvent déformés par la transmission orale; le terrain le plus propice était la cour de l'école. D'où vient le titre "sadiques"? Dans ces versets, le sadisme réel est rarement présent en tant que tel; la confusion vient du mot "sadiser" souvent utilisé dans les écoles, dont le sens a été détourné et signifiait "agresser physiquement". Il n'était pas rare d'entendre la phrase "Arrête de me sadiser" adressée à un élève bagarreur.

Dans les années 90, la popularité du genre s'est mise à décroître, mais il n'a pas entièrement disparu, s'enrichissant d'autres quatrains nés à l'époque de modernité et d'Internet.

Si le rythme des premiers "versets sadiques" était variable, par la suite il s'est stabilisé, et la plupart des quatrains sont écrits en dactyle (composé d’une syllabe accentuée suivie de deux syllabes atones) tetramètre rimé en AABB. Parfois, plus rarement, le verset ne comporte que deux lignes. Le sujets sont variés et pratiquement jamais politisés, la chute n'est jamais inattendue ou paradoxale; la fin est tragique mais présentée sous forme légère, ironique, ce qui donne l'impression d'absurde.

Les personnages principaux sont un petit garçon ou une petite fille, le plus souvent anonymes. La morale est totalement absente de ces quatrains; d'ailleurs, l'une des sources du genre a été le trop-plein de morale idéologique. Il existe un sous-groupe, bien moins fourni, appelé "dobruchki" добрюшки (gentillages), où la situation dangereuse finit bien.

Les versets présents dans cette article ne sont qu'une petite partie de ce vaste folklore.


Une maman a offert en cadeau
Une faucille, une hache, un couteau,
Une massue… Les enfants sont contents,
Car le voisin devenait trop gonflant.


Un tout petit garçonnet, sans surprise,
Met son doigt fin par hasard dans la prise.
"C'est merveilleux! – s'extasie sa grand-mère. -
Il me fera un joli lampadaire!"


Un garçonnet branche l'aspirateur,
Y met son nez pour en voir l'intérieur…
Il réussit au théâtre avec brio:
Il est parfait pour jouer Pinocchio.


Au restaurant, un client dit: "Garçon!
De l'arsenic dans le plat du fiston!"
Et le garçon de répondre, sévère:
"Ça vous coûtera vingt centimes plus cher!"


Un garçonnet à la fenêtre montait,
Vers l'extérieur le petit se penchait…
On voit le sol plein de taches écarlates -
Il a jeté aux passants des tomates.


La vieille n'a pas souffert des heures
En haut des lignes à haute tension.
Son corps brûlé remue encore,
Donnant aux piafs de gros frissons.


Stierlitz était sauvagement torturé -
On lui mettait ses chaussettes sous le nez.
Mais ce salaud de Müller ignorait:
Stierlitz l'odeur du pays adorait.


Un garçonnet grimpe voler une poire,
Frol le gardien sort sa grosse pétoire.
Un coup de feu et un fort hurlement…
"Oui! Quarante-deux," - dit le vieux en souriant.


Un garçonnet est monté sur un arbre,
Le vieux Pacôme dégaine son arme…
Un coup de feu – le gardien est à terre:
Le garçonnet est couvert par son père.


L'invité sur le divan
A un clou dans son devant.
Oui, c’est moi qui l'ai cloué :
Ça l'empêche de s'en aller.


Un garçonnet a trouvé un lance-flamme...
Dans son village il n'y a plus une seule âme.


Un garçonnet trouve une belle mitraillette,
Et depuis sa bourgade est déserte.


Une maman descendait l'escalier
En retenant son fiston par le pied.
Dit la voisine: "Son chapeau va tomber!"
"Non, - dit la mère, - il est très bien cloué."


Un garçonnet s'amusait dans le sable,
La bétonneuse arriva, implacable.
On n'entendit pas un cri, pas un son...
Seuls deux souliers dépassaient du béton.


Une fillette voulait une friandise.
"Bon, - dit la mère. - Mets ton doigt dans la prise."
Choc électrique, les os ont brûlé…
Les invités ont longtemps rigolé.


Un garçonnet trouve une bombe à fission
Et à son oncle il adresse la question:
- Ça sert à quoi, c'té ferraille, putain?
La terre-mère s'ébranle soudain…
Ce phénomène a surpris le Japon:
À l'horizon, pousse un gros champignon…


Une fillette, en traînant dans le champ,
Trouve une grenade… Quel truc surprenant!
"Ôte la goupille," - lui dit un passant.
…Une sandale volait très longtemps.


Un garçonnet a trouvé un papier;
Il est allé s'en servir aux W.C.
Tous les enfants ont énormément ri,
Car ce papier - il était émeri.


Une grand-mère attendait sa petite-fille
Tout en pilant du cyanure en pastilles.
Mais le grand-père a été le plus prompt:
Il a cloué la fillette à la porte.


Un garçonnet a trouvé une pomme,
Mais il s'avère que c'est une bombe.
Le garçonnet a voulu la manger…
On a trouvé sa mâchoire dans le pré.


Un garçonnet a trouvé un couteau;
Vers son papa il se glisse aussitôt…
Tiens, le papa qui détale et zigzague,
Dans son derrière – le froid d'une dague.


Un vieux trouve une grenade dans le champ;
Il va au siège du parti rapidement,
La dégoupille et la jette par la fenêtre...
Comme il est vieux, l'avenir l'indiffère.


Un garçonnet se faufile dans l'avion,
L'autopilote il active, le fripon…
Non, n'attendez pas l'horrible final:
Il vit heureux depuis lors au Népal.


Un p'tit hacker Windows10 installait
Et, comme d'hab', celui-ci a planté.
Le moniteur, le clavier sont cassés…
Et dans la tour – une hache coincée.


Dans notre immeuble on a eu Internet,
Et depuis hier, pour Anton c'est la fête.
Tous piratés: Pentagone, UNESCO…
Le p'tit hacker est vraiment très costaud.


Un garçonnet désossait un ordi
En avalant les divers circuits.
Ses deux parents sont ravis et heureux:
Un robocop désormais est chez eux.


Gentillages


Une fillette, en rentrant tard le soir,
Tombe soudain sur de gros malabars.
- Je vous en prie, laissez-moi m'en aller!
- Qui te retient? Déguerpis, va en paix…


Pétia, tapi dans les fraises du voisin,
Est découvert par Fédot le gardien.
Pétia prend peur, mais le vieux est très bon:
"Mange, petit! Tu as ma permission."


Une fillette chez elle revenait,
Mais dans le parc un violeur l'attendait…
Le malfaiteur a péri sans fracas –
Cette fillette est une karatéka.


Vitia jouait aux Indiens sans relâche,
Sur son grand-père jetant une hache.
Ce Chingachgook vise horriblement mal,
Car le grand-père est intact au final.


Les p'tits enfants, par les loups encerclés,
Leur proposèrent des saucisses à manger.
C'est une histoire plus belle que jamais:
Gosses vivants, prédateurs rassasiés!


Un garçonnet, en cueillant les bolets,
Un champ de mines vit dans la forêt.
Toute la journée il a pu y marcher,
Car le petit a un pas très léger.


Un garçonnet tombe dans le wc…
Il n'a rien eu – cent seize fois d'affilée.