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HUMOUR


Paul Itolog

Un concierge anglais à la tour de Babel


Voici un rapport réalisé par l’OPA (Office pour la Promotion de l’Anglais), parrainé par le British Battle Council, et signé David Bouldecristal, un expert linguistique reconnu (dans la rue):


“Il y maintenant dans le monde 3 non native English-speakers pour 1 natif. Cette diffusion planétaire d’une langue est sans aucun précédent historique depuis l’empire romain - qui ne couvrait même pas un continent entier, faut-il le rappeler?

Ce phénomène a pourtant un effet collatéral inattendu, il change la façon de parler des purs native speakers, obligés, pour faciliter l’accès des étrangers à notre belle langue, de tolérer des impuretés, des approximations, voire des incorrections grammaticales.

Par exemple, nul ne jettera la pierre à un Asiatique qui dirait “sing” parce qu’il n’arrive pas à prononcer le “th”. De même, qui reprochera à la tour de contrôle d’accepter qu’un pilote non native prononce au micro “tree” au lieu de “three”, surtout pas les passagers de l’avion...

Plusieurs hybrids (sans le “e” français, qui ne sert à rien) ont vu le jour, le Spanish-English, l’Hinglish anglo-asiatique etc., il est temps de définir un anglais international, grammaticalement simplifié, plus facile à prononcer, mais plus performant que le globish. Une sorte d’espéranto, mais anglais. Certes, l’anglais d’Oxford et l’accent de la BBC vont se déliter dans la mondialisation, notre anglais va mourir, mais l’anglais mondial va naître! (Quand on aura réussi à fusionner toutes les variantes locales.)

Malgré ces réserves, cette diffusion de l’anglais dans le monde ne peut que soulever l’enthousiasme général.

L’anglais s’est imposé dans le monde grâce à sa facilité d’apprentissage et sa prononciation aisée qui fait que même en vieillissant, lorsque l’outrage des ans nous empêche d’articuler correctement, on peut encore parler anglais. Plusieurs études internationales confirment d’ailleurs qu’on parle mieux anglais sans dentier. Mais sommes-nous compris? Je vais y revenir.

L’anglais a conquis le monde, il est parlé couramment, des plus hautes couches de la société - cadres supérieurs, hauts fonctionnaires, politiciens, scientifiques - aux plus populaires.

On peut facilement estimer le nombre de locuteurs d’anglais non natifs en incluant tous ceux qui ont choisi l’anglais au lycée en première ou deuxième langue. Par souci d’objectivité, nous exclurons ceux qui ont obtenu moins de trois sur vingt à l’épreuve d’anglais. Quant aux Américains, ils sont présumés savoir parler anglais, nous les inclurons donc également.

Après recoupements, voici l’enthousiasmante réalité:

Quelques milliers de non native speakers dans le monde sont capables de soutenir une discussion sérieuse hors de leur domaine professionnel, ou de discuter politique avec un Anglais.

Bien sûr, nous comprenons que des chefs d’État qui discutent entre eux de sujets brûlants préfèrent utiliser des interprètes, il ne s’agirait pas qu’un malentendu linguistique déclenche une alerte nucléaire.

Mis à part cette élite, qui peut discuter cash-flow ou intelligence économique, ou traduire un article scientifique à l’aide d’un bon dictionnaire, quelques dizaines de milliers, moins avancés en anglais, peuvent néanmoins causer sport ou loisirs.

Le reste des anglophones, soit quelques millions de personnes du niveau basic english, sont parfaitement capables de commander une bière dans un pub anglais. Moi-même, je n’ignore pas qu’une pub n’est pas un pub, c’est dire.

- Beer! lancera au barman (homme-bar en français) le sympathique étranger, avec un accent d’autant meilleur qu’il aura bu de bières (avant celle qu’il commande).

N’importe quel Français anglophone est maintenant capable de se renseigner à Londres auprès d’un si poli policeman:

- Whore is the drag-Queen Elisabeth? And big Mac Ben?

Une fois ce malentendu dissipé au commissariat le plus proche, nos Frenchies à l’accent bizarre pourront pleinement profiter de leur séjour à Londres. Dans quelle autre ville est-il possible de cumuler visite touristique et stage linguistique dans la langue mondiale? C’est un avantage unique au monde.

Plus encore, de par le monde quelques dizaines de millions de personnes au moins savent répéter à leurs amis le titre du film qu’ils ont aimé (pas les dialogues, trop dur):

- Vous avez vu Staar waaaars? C’est too much, c’est top! Ou Starship troopers? Independance day?

- T’es has been ou quoi? Star wars c’était y a dix ans, si tu veux flasher faut voir Gangs of New-York, mec, c’est plus fun!

Mais ça c’est l’élite d’une nation, the best of, le top du top (en français dans le texte), le gratin (en dauphinois dans le texte).

Autre signe que l’anglais est devenu la langue mondiale, c’est que les classes populaires aussi le parlent.

Les nounous sont devenues des nannys, les appartements des lofts, une télé-poubelle la tele-reality, on doit supporter le foot, et the show must go on. Le globish va déferler sur le global village comme un tsunami - oh pardon, comme une évidence, et le premier papy venu qui a fait un carton dans son village sur un coup de folie, fusil de chasse à l’épaule et camembert dans la gibecière, se vexera si les news de prime-time ne le présentent pas comme un authentique seriâââl killer.

Et ce phénomène est mondial:

N’importe où en Asie, lorsqu’un touriste assoiffé cherche une boisson stérile, c’est grâce au rayonnement de l’anglais qu’il ne mourra ni de soif ni de dysenterie:

- Coca-Cola? - demande-t-il à un autochtone en haillons.

- Yes: there! - répond fièrement le pauvre hère en tendant le doigt vers le bar en tôle ondulée, ajoutant, pour montrer sa maîtrise de la langue internationale: “Hep, mister, want woman, young man? Shit? Fast-food ?”

Une fois cet autre malentendu dissipé, c’est grâce à l’anglais qu’un véritable échange culturel pourra avoir lieu, qu’un pont sera jeté entre ces deux êtres en apparence si éloignés l’un de l’autre.

- The life is hard? - demande le touriste au non native speaker, compatissant.

- Hard-movie? Yes, there! Cheaper.

Ainsi on peut estimer à un milliard de personnes dans le monde les locuteurs de l’anglais, qui s’est définitivement imposé comme langue-pont entre les individus, alors qu’il était au départ un des moins bons candidats à une langue mondiale - avec le navajo (trop de danse-avec-les-loups et de vole-au-vent) le serbe et le hongrois (trop de consonnes), le chinois (trop de dessins) - preuve supplémentaire que nous sommes les meilleurs. S’imposer à tous malgré ses handicaps, n’est-ce pas la quintessence du sport? Déposer une réclamation après l’arrivée est antisportif, mauvais joueur.

Une réalité que veulent toujours ignorer les partisans de l’espéranto, qui persistent à penser que l’espéranto doit être choisi comme langue européenne, au motif qu’il est plus facile, plus simple à apprendre, aussi précis, et de surcroît basé sur les racines latines et grecques. Quel rapport? Depuis quand la vie est-elle juste? Le loup mange l’agneau, la raison du plus fort est toujours la meilleure, et le plus faible ferme sa gueule, trop content d’être en vie, et se cache dans un coin pour se faire oublier.

Quant aux doux dingues qui proposent le latin comme langue européenne, ils ont quelques siècles de retard; que leur dire sinon “Errare humanum est, perseverare diabolicum”?

Le mur d’Hadrien s’est effondré. D’ailleurs, qui s’appelle encore Hadrien?

Vae victis!”


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