Conte du pêcheur et du poissillon
(extraits)
Traduit par André Lirondelle
Il était un vieillard vivant avec sa vieille
Au bord même de la mer bleue;
Et ils avaient vécu dans leur vieille cabane
Exactement trente-trois ans.
Le vieux péchait le poisson au filet,
La vieille filait sa quenouille.
Une fois il jeta son filet dans la mer,
Et le filet revint n'ayant que de la vase;
Une seconde fois il lança le filet,
Et le filet revint avec l'herbe marine,
Une troisième fois il jeta le filet,
Et le filet revint avec un poisson d'or,
Non un simple poisson, mais un poissillon
Lors, le poissillon d'or se mit à l'implorer,
A dire d'une voix humaine:
"Rejette-moi, vieux, dans la mer,
Je donnerai pour moi une riche rançon:
Ma rançon, ce sera tout ce que tu voudras.
Le vieillard s'étonna, prit peur:
Depuis trente-trois ans de pêche
Il n'avait entendu oncques poisson parler.
Il rejeta le poisson d'or
Et lui dit ces bonnes paroles:
"Dieu te bénisse, poisson d'or!
Point n'ai besoin de ta rançon.
Retourne-t-en dans la mer bleue,
À ton aise promène-toi dans ses espaces d'or."
Et le voilà qui s'en repart vers ia mer bleue;
Il voit la mer doucement se jouer,
Il appelle le poisson d'or.
Le poisson vient nageant à lui, demande :
"Qu'y a-t-il, vieux, pour ton service?"
(...)
Le vieux s'en revient chez sa vieille:
La vieille a bien une auge neuve.
La vieille crie encor plus fort:
"Imbécile, benêt,
C'est une auge que tu as demandée, imbécile !
Le beau profit qu'une auge !
Va retrouver le poisson, imbécile,
Le salue et demande une izba cette fois ! "
II s'en alla vers sa cabane,
Mais de cabane plus de trace.
Devant lui, une izba avec claire chambrette,
Cheminée de brique, blanchie,
Et porte charretière en voliges de chêne.
Sous la fenêtre est assise la vieille,
Elle agonit d'injures son mari:
"Imbécile, fieffé benêt!
C'est une izba, benêt, que tu as demandée !
Retourne et salue le poisson;
Point ne veux être vile paysanne,
Je veux être dame noble de haut lignage!"
(...)
Le vieux s'en revint à sa vieille;
Et que voit-il? Un haut palais;
Sur le perron se tient sa vieille
Avec un mantelet de riche zibeline,
Lui surmontant le chef, une coiffe en brocart,
Son cou est entouré de perles,
Aux mains elle a des bagues d'or,
Aux pieds des bottes rouges,
Des serviteurs s'empressent devant elle,
Elle les frappe et les tire par îe toupet.
(...)
Une ou deux semaines se passent.
Plus qu'avant la vieille est en rage,
Et renvoie le vieux au poisson:
"Retourne, salue le poisson!
Point ne veux être une noble de haut lignage,
Mais je veux être une libre tsarine."
(...)
Une ou deux semaines se passent,
Plus qu'avant la vieille est en rage.
Elle dépêche à son mari des courtisans.
On découvre le vieux, et on le lui amène,
La vieille dit au vieux:
"Retourne, salue le poisson:
Point ne veux être une libre tsarine,
Je veux être la souveraine de la mer,
Pour vivre en la mer océane,
Pour que le poisson d'or me serve
Et fasse mes commissions."
(...)Le vieux, avec un salut, lui répond:
"Aie pitié, seigneur poisson.
Que puis-je faire avec cette maudite femme?
La voilà qui ne veut plus être une tsarine.
Elle veut être souveraine de la mer,
Pour vivre en la mer océane,
Pour que toi-même tu la serves
Et fasses ses commissions ! "
Le poisson ne dit rien,
Mais seulement battit l'eau de la queue
Et s'en fut dans la mer profonde.
Longtemps, auprès du flot, l'autre attend la réponse,
Sans l'avoir obtenue, il revient à sa vieille.
Surprise ! devant lui de nouveau, sa cabane,
Sur le seuil sa vieille est assise,
Devant elle une auge brisée.
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