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Alexandre Pouchkine

Par Jacques Michaut-Paterno, extrait


Alexandre Pouchkine

Le 26 mai 1799 naissait à Moscou Alexandre Pouchkine. La Russie célèbre avec ferveur ce bicentenaire et, avec elle, l'Europe entière honore l'un de ses plus grands écrivains. Dans l'esprit du public, les figures éminentes de la littérature sont associées au pays dont elles sont originaires : Dante à l'Italie, Cervantès à l'Espagne, Shakespeare à l'Angleterre, Goethe à l'Allemagne, symboles incontestés d'une culture dont ils expriment à la fois la quintessence et l'universalité. Curieusement pour la Russie, c'est davantage Dostoïevski, Tolstoï, Tchékhov qui en incarnent le mieux le génie, et la célébrité de ces écrivains est, en France, infiniment supérieure à celle de Pouchkine. La valeur de ce dernier est certes reconnue, mais c'est peut-être davantage sur la foi de ce que proclament les Russes eux-mêmes que par conviction profonde. Le lecteur français est toujours étonné de la vénération dont il est l'objet dans son propre pays et se dit que probablement il doit bien y avoir quelque chose d'exceptionnel chez un homme aussi unanimement reconnu. Mais la connaissance très partielle qu'il a de son oeuvre et la fréquente maladresse des versions proposées ne lui permettent guère de s'en convaincre tout à fait. Aussi continue-t-il de lui préférer Tchékhov ou Dostoïevski jugés à ses yeux plus «russes », c'est-à-dire correspondant mieux dans la psychologie et le comportement de leurs personnages à l'idée qu'il a de «l'âme slave», vague notion parée de tous les attraits de l'exotisme qui se révèle bien commode lorsqu'il s'agit d'expliquer l'inexplicable. Pour notre esprit occidental, Pouchkine souffre d'un déficit de «russité» telle que nous l'entendons depuis Voguë et Gide, et la relative méconnaissance où le confine une opinion ne connaissant de lui, la plupart du temps, que quelques oeuvres en prose, est encore accrue par la difficulté de l'adaptation poétique. Finalement Eugène Onéguine et Boris Godounov doivent davantage leur renommée aux livrets d'opéra qu'en ont tirés Tchaïkovski et Moussorgski qu'à l'original pouchkinien.


Cette célébrité toute paradoxale ne s'explique pas uniquement par les incertitudes de la traduction: ce genre d'obstacle ne nuit pas à l'universelle reconnaissance dont jouissent Dante ou Shakespeare. Elle est largement due à la nature même du génie pouchkinien, concis, allusif, fort éloigné de la représentation que l'on se fait habituellement de l'écrivain russe à travers le prisme de ces romans-fleuves emplis de héros en perpétuelle introspection, extrêmes dans leurs enthousiasmes et leurs accablements, s'abandonnant à des excès que notre rationalisme réprouve. Pouchkine, lui, est succinct, concentré, son écriture est un parfait condensé d'assimilations successives. (...) Nourri de modèles européens, profondément influencé par l'esprit subtil et mordant des Lumières, Pouchkine est également un prodigieux capteur d'idées, son flair et sa clairvoyance le font aller directement à l'essentiel de ce que la réflexion, l'analyse des encyclopédistes français par exemple exposent de façon discursive. Dense, fluide, harmonieuse, son oeuvre est un laboratoire d'intuitions d'où jaillissent mille traits de lumière fixés dans une matière sonore d'une élégance achevée. Cette légèreté de forme, cette intensité de fond, cette intelligence finement allusive ne cesseront par la suite d'émerveiller tous les écrivains russes; c'est en cela que la Russie voit en Pouchkine l'apogée de sa culture.


Octobre 1999, n° 37, Les revues pédagogiques de la Mission Laïque Française Connaissance du français


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