Bylines
Feuille Bylines
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La byline russe

Dossier de TPE réalisé par Antoine Muller


Les trois preux

Introduction


Les bylines sont presque inconnues en Occident ; avant de commencer cette étude, il convient donc de les situer dans leur contexte.


Une littérature orale a existé dans beaucoup de peuples avant toute littérature écrite, mais il nous en reste aujourd'hui très peu de vestiges, car elle a été longtemps ignorée et méprisée par l'élite instruite, qui n'a pas attaché d'importance à des oeuvres issues du peuple illettré. Par conséquent, il est évident que seule une très faible partie des oeuvres orales nous est parvenue, même si, un peu partout subsistent des comptines, chansons, contes... dont nous ne connaissons plus les auteurs, qui semblent issus d'un très lointain passé, et qui souvent nous semblent étrangement familières.


La Russie de par l'étendue de son territoire a très longtemps compris des régions difficiles d'accès ou la civilisation a mis longtemps à s'imposer ce qui a permis à la tradition orale de perdurer jusqu'au début du XXe siècle, sujette à un déclin moins marqué qu'ailleurs.


Ce n'est qu'à partir de la fin du XVIIIe siècle qu'un certain nombre de témoignages de la transmission orale ancestrale, comme les contes (skazki), les poèmes d'inspiration chrétienne (stikhi doukhovnyé) (littéralement “vers spirituels”) ont été recueillis.


Les bylines qui font l’objet de la présente étude, sont des chansons épiques dont les origines remontent à des temps très reculés, à partir des X et XI siècles. Leurs thèmes sont essentiellement laïques, elles ont été conservées par la tradition orale jusqu'au XVIIe siècle ou on a commencé à les redécouvrir, et ce jusqu’à leur disparition avec celle de leurs derniers récitants, au début du XXe siècle. Elles ont la particularité d'être de longs récits épiques, qui comportent tout un développement, une action, des descriptions, certaines atteignant plus de mille vers, ce qui rend assez exceptionnelle leur transmission orale, presque sans altération, et souligne l'instinct poétique, fantastique, et surtout la mémoire de ceux qui les ont transmises.


L'appellation de la byline : la byline fut d'abord appelée slovo (la parole, le dit), puis bylina ou byl' (le fait), nom qui témoigne de son caractère véridique aux yeux du peuple (en russe moderne, byl est le passé du verbe être), un proverbe russe dit d'ailleurs : "Skazka skladka, a piesnia byl'" (le conte est une invention, mais la chanson c'est le fait, le réel). La byline a une dimension sérieuse, c'est un savoir réel, elle se rattache à des sources historiques, quoique mêlées souvent de croyances et des mythologies des Slaves anciens, tandis que le conte est plus fantaisiste.


Un autre nom qui lui fut donné est starina, qui l'inscrit dans une époque passée depuis longtemps (staryï voulant dire en russe "vieux", et starinny "ancien"), on comprend ainsi le rôle "éducatif" de la byline pour le peuple. L'appellation "byline" figure pour la première fois dans le "Dit de la campagne d'Igor", un poème épique qui date du XIIe siècle et qui témoigne bien des sources historiques des bylines, mêlées de croyances et de mythologies des Slaves anciens.


La byline recouvre toute l'histoire de la Russie, depuis les origines, elle raconte les exploits des bogatyry (preux), de puissants guerriers qui équivalent en quelque sorte à notre chevalerie Occidentale, ils peuvent être classés en deux ou trois catégories qui se sont succédées chronologiquement.


Les premiers, ou aînés, sont peu nombreux, et on ne sait pas grand-chose d'eux. Leur origine remonte très loin dans le temps, ils sont assimilés aux forces et phénomènes naturels, les conteurs de bylines disent que leurs exploits sont perdus dans la nuit des temps. Il s’agit sans doute souvent d’éléments issus de la mythologie pré-chrétienne, qui fut combattue lors de la conversion, ce qui explique que peu de sources nous soient parvenues à leur sujet les bylines, qui racontent leurs faits et gestes relèvent plus du mythe que du récit. On peut citer Volga Bouslaïévitch, qui personnalisait peut-être à l’origine le fleuve, Mikoula Sélianinovitch, dont le nom signifie "fils de paysan, de colon", qui est doté d'une énergie merveilleuse et dont la charrue ne peut être arrachée de terre par autre que lui. Il représente en quelque sorte la puissance du peuple qui commence à se sédentariser, à défricher les forêts. Figurent également à leur panthéon des monstres divers, géants de la montagne, comme Sviatogor ou Zmeï Gorynytch le dragon - leurs noms sont construits sur la racine gora qui signifie "montagne". Idolichtche Poganoïé est, quant à lui, la figure de l'idole païenne, tandis que Soloveï Razboïnik, le bandit rossignol, terrifie les voyageurs et habite un repaire bâti au dessus de six chênes.


Le deuxième cycle est rattaché de beaucoup plus près à l'histoire de la Russie kiévienne, véritable berceau de la byline. Certains le divisent à son tour en deux catégories, la première racontant plus des faits militaires, la seconde plus influencée par le commerce... Le souverain unanimement évoqué dans les bylines est Vladimir “Beau-soleil” ou “Soleil-rouge” (les deux adjectifs se confondent en vieux russe), celui qui fut à l'origine de l'adoption du christianisme en Russie, devenu à ce titre Saint. S'ils ne sont pas moins doués de capacités remarquables, les bogatyry de sa cour ont forme humaine, et leurs exploits sont souvent plus facilement situables et explicables dans un contexte historique.


Le plus important des bogatyry est Ilia de Mourom, ou Ilia Mouromets (il s’agit de la transcription couramment admise), le seul à être d'origine paysanne, resté jusqu’à l'âge de trente trois ans infirme, incapable de marcher. Guéri miraculeusement, il consacre dès lors sa vie à la défense des terres russes contre les envahisseurs et autres ennemis. Contrairement à beaucoup de nos héros, Ilia ne cherche pas la guerre, répugne à utiliser sa force titanesque sauf en dernier recours, il est doué d'un grand sens moral avant tout. Même le tsar Vladimir tremble devant ses colères, ce en quoi il représente symboliquement la pression de la masse rurale sur les pouvoirs. Dobrynia Nikititch semble quant à lui issu d'un autre milieu, plus noble, de par ses manières, son attitude, son intelligence. Aliocha Popovitch est pour sa part le représentant du clergé comme le laisse supposer son nom (popovitch = fils de pope).


Le “troisième cycle” donc, appelé "cycle de Novgorod" car racontant sans doute des faits ultérieurs, contemporains à l’apogée de cette cité, met en scène des bogatyrs comme Sadko, qui se consacrent à des activités moins bellicistes, souvent marchandes.


Les bogatyrs ont comme principal adversaire les “Tatars”, d'inspiration historique évidente, qui représentent les Mongols qui ont envahi la Russie au XIIIe siècle. On constate dès lors l'anachronisme avec la date du règne de Vladimir, mais il faut comprendre que les bylines sont le résultat d'une assimilation de sources de diverses époques derrière des figures symboliques, positives ou négatives. La figure de Vladimir est pour le peuple russe un symbole d'unité, un rappel de la grandeur passée de Kiev, et elle concentre en un même personnage plusieurs souverains historiques, comme nous le verrons plus loin. On peut voir dans les bylines qui évoquent le joug tatar une réaction contre celui-ci et une invitation à le renverser par le rappel des faits héroïques passés... Les princes russes à l'époque du joug tatar se livraient à des querelles intestines de pouvoir, c'est pourquoi le peuple redoublait d'ardeur dans la "résistance orale" par l'évocation de personnages légendaires. Le texte exact des bylines a probablement évolué petit à petit avec les différents conteurs, selon les événements historiques du moment, des personnages ont été amalgamés, et plusieurs versions existent souvent sur les mêmes thèmes. La menace mongole, par exemple, a amené les conteurs à lui assimiler très largement tous les peuples ennemis du passé de la Russie - les Polonais, les Lituaniens... On peut constater un fait comparable en France ou les Normands et autres envahisseurs du Nord ou de l'Est prennent le nom de Turcs. La menace mongole a constitué un élément unificateur de la byline.


On ne peut malheureusement pas juger de cette évolution puisque les premières bylines recueillies et rassemblées datent du XVIIe siècle, date à laquelle il semble que les bylines ne subissaient plus de changements et se transmettaient très fidèlement. Au XVIIIe siècle, pour la première fois, un recueil important de poésie populaire russe est réalisé par Kircha Danilov sous le titre "Anciens poèmes russes", le recueil est édité pour le public pour la première fois en 1804 puis en 1818. Il faut ensuite attendre 1860 pour qu'un deuxième recueil paraisse, par l'initiative de Kireïevski. Grâce aux grands rassembleurs de bylines comme Rybnikov, Hilferding, Markov, Grigoriev, Ontchoukov, plus de 2000 enregistrements sont réalisés, qui ne correspondent cependant pas à 2000 bylines différentes, on dénombre environ 50 grands sujets, mais les différents versions se complètent souvent de façon intéressante.


Comme on va le constater au long de cette étude, les grands thèmes des bylines ne se limitent pas aux faits d’armes - le commerce occupe par exemple une place non négligeable, notamment dans le cycle de Novgorod.


Les bylines n'étant pas oeuvres issues d'un seul auteur, mais anonymes, forgées au fur et à mesure par les siècles, sont pleines de symboles. Comme dans les contes, les répétitions sont fréquentes, les personnages ou entités ont des qualificatifs propres et immuables, les histoires se déroulent souvent selon des schémas consacrés, commencent en général à la cour de Vladimir, les mêmes paroles, démarches, sont répétées trois, quatre ou cinq fois, avant d'être fructueuses, ce qui imprime un certain rythme. La tête est toujours "misérable", les jambes "fringantes", les boucles "jaunes", les cuisses "grasses", le vaisseau "rouge", le faucon "clair". Ilia est toujours "vieux" alors qu'il n'a que trente trois ans quand ses aventures commencent.


On sait que les bylines étaient parfois chantées par des ménestrels, généralement aveugles mendiants, qui s’accompagnaient d’un instrument à cordes appelé "gousli", ce qui explique en partie les allusions toujours les mêmes, destinées à établir un lien entre celui qui récite et son public, à aider ce dernier à se sentir concerné par l'action. Au moment de recueillir les paroles de bylines, on a souvent constaté que ceux qui les interprétaient avaient eux-mêmes souvent oublié l'origine ou le sens des formules consacrées.


Nous allons commencer dans ce dossier par étudier des bylines des deux premiers cycles, afin de dégager leurs inspirations, historiques, géographiques, symboliques, parfois religieuses; ensuite, nous ferons le point sur certains aspects des bylines de façon plus générale, liens avec l'Église, avec le régime communiste, avec les autres récits épiques, particularités littéraires...


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